Focus : la chasse ultra profonde du Denti avec Aleix Segura Vendrell

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Version española: traduction espagnol

En pêche sous-marine comme en apnée, on croise parfois des extraterrestres. Ce genre de chasseur sous-marin pour qui un agachon de 4 minutes ou des descentes à plus de 45 mètres , même si ce n’est pas forcément utile, représentent un plaisir sans limite.  Nous avons eu la chance de croiser l’un d’eux, il s’agit d’Aleix Segura Vendrell, double champion du monde 2015 en apnée statique (AIDA ET CMAS) et amateur de pêche extrême au delà de 40m. L’occasion était trop belle et nous n’avons pas résisté à lui poser quelques questions sur sa façon de voir la chasse sous-marine du denti, son poisson favori, en Catalogne.

aleix segura vendrell , retour à bord
Aleix Segura Vendrell , retour à bord

1 – Salut Aleix, première question : la préparation en pêche sous-marine n’est pas toujours simple à organiser surtout lorsque l’on est en bateau. Comment fais tu ?

Aleix Segura Vendrell : Dans mon cas cela dépend  un peu de l’heure et de la fréquence où je suis allé à l’eau. Les après midi, si je suis bien entrainé, je n’ai besoin d’aucun échauffement et je vais directement vers les points importants de ma sortie. Dans les autres cas, qui son la majeur partie de mes sorties, je me prépare avec une petite descente à 10/15m ou une à poumons pleins entre 20 et 25 mètres. Par la suite, je peux descendre bien plus profond.

 

2 – Combien de temps te faut-il pour être à 100% de tes capacités ?

Pour une descente extrême, il me faut moins de 4 descentes. Par contre pour être vraiment à l’aise en pêche sous-marine extrême, là cela va me demander pas loin d’une dizaine de descentes et cela me prend donc un peu plus d’une heure.

aleix segura Vendrell, un regard sur la pêche profonde
Aleix Segura Vendrell, un regard sur la pêche profonde

3 – Tu fais surtout de la chasse sous-marine à partir d’un bateau, restes tu sur un spot précis ou balades tu d’un spot à l’autre ?

En fait, je vais surtout bouger si j’ai un équipier.  Si j’y vais seul, j’essaie de bouger mais un peu moins dans la mesure où ce n’est pas simple de plonger profond à plusieurs reprises ou chasser à la dérive.  Ma zone de chasse est relativement pauvre et si tu essaies de balader d’un coin à un autre, tu as aussi des risques de ne rien faire.

 

4 – On te connaît comme apnéiste de très haut niveau mais l’on te connaît moins pour ton autre passion : la chasse sous-marine ultra profonde du denti. Tu nous racontes ?

Ma zone pour la grande majorité de mes sorties est la Costa Brava centrale en Catalogne (de Begur à Palamos). Pour moi, c’est peut être une des pires pour pêcher mais il y a de la profondeur et la visibilité est très bonne. C’est ce qui rend possible pour moi la pêche des dentis quasiment toute l’année quand le vent le permet. Ici nous avons des thermoclines fortes ce qui fait que les poissons ne sont pas toujours forcément très profond. Après 45 mètres, l’eau descend à 13 degrés même en plein été et cela fait disparaître quasi totalement les dentis.  Mais 35 mètres est une bonne profondeur pour faire de beaux agachons en été et en automne malgré une eau qui est souvent froide. Ici pécher à la coulée est un rêve pour moi, je n’ai jamais réussi à faire un beau denti comme cela.

aleix segura Vendrell, des prises d'exception
Aleix Segura Vendrell, des prises d’exception

5 – Selon toi, quelles sont les clés d’une sortie profonde en toute sécurité ?

L’idéal est d’avoir bien entendu un compagnon de sortie capable de descendre aussi profond (cela m’est rarement arrivé). Dans mon cas, lorsque je pars seul, je dois énormément contrôler tout ce que je fais. Ainsi, y aller avec un équipier est déjà un gros facteur de sécurité et qui va te permettre de te recentrer sur ce que tu fais et la gestion de tes apnées. Tu peux déléguer partiellement le contrôle des autres bateaux en surface qui sont déjà une énorme source d’accidents lorsqu’ils s’amusent à slalomer autour des bouées de signalisation. Dans un même ordre d’idée, par expérience je me suis rendu compte que lorsque la mer est mauvaise, les autres bateaux ne regardent pas les bouées et ne pensent d’ailleurs pas qu’il puisse y avoir quelqu’un dans l’eau. Il faut y faire très attention voir changer de spot, là il ne s’agit plus de réfléchir mais de sauver sa vie !

Par ailleurs je suis très attentif aux récupérations en fonction de la profondeur et du temps passé afin d’éviter encore une fois les accidents de décompression. Ainsi faire de très longs agachons à plus de 40 mètres implique d’accumuler beaucoup d’azote et en pêchant en poids variable, c’est plus facile mais en prenant le risque d’un accident de décompression en peu de descentes si on l’oublie. Ainsi, les temps s’allongent beaucoup et il y a peu de fatigue apparente. J’utilise des tables basiques qui m’orientent et je n’ai jamais eu aucun soucis. Malgré tout je garde un morceau d’aspirine dans le bateau pour m’aider s’il cela venait à arriver.

Personnellement, je balise bien la zone, non seulement pour les bateaux mais aussi pour éviter des descentes hors zone qui sont aussi inutiles que dangereuses.  Cela te permet aussi de vérifier le courant sur la zone.  Côté matériel, je focalise aussi beaucoup sur la qualité et la contenance de mon moulinet, comme de la tête d’arbalète afin d’éviter tout risque de blocage. Pas de doute, cela vaut le coup d’investir dans du bon matériel fiable.

Autre point important; l’hydratation ! En effet, s’hydrater est pour moi fondamental lors des longues sorties. Personnellement, lorsque je passe de longues heures à l’eau, j’ai tendance à ne plus avoir de spasme ou très peu. Si je ne m’hydrate pas je sais que mon corps va le payer et je pourrais arriver dans des situations de risques.

Dans cette vidéo, un des dentis est tiré à 42m en poids variable et si cela ne se voit pas bien, il y avait en fait pas loin d’une centaine de dentis. A la remontée, j’ai vu que j’étais déjà à 4mn15 d’apnée et j’ai du rester pas loin de 15 minutes en surface. Résultats, ils étaient partis et je ne les ai pas revu de la journée. Mais j’étais sauf et avec un beau denti !

6 – La pêche du denti est une des plus difficiles, pour toi quelles sont les clés du succès et les erreurs à éviter ?

Il faut un peu de souffrance, aller vers eux parfois et prendre le risque d’être  » anticonformiste » ( bien que certains jours cela soit tout à fait improductif).  Ce qui est évident est qu’il faut avoir une bonne apnée, bien savoir lire les courants et rechercher le côté exposé. Pareil, il faut surveiller la thermocline pour ne pas la dépasser de plus de quelques mètres.

Au fond, il faut toujours rechercher la bonne position qui ne t’expose pas le corps. Lorsque le poisson arrive, je fais toujours attention à ne pas tirer les dentis qui patrouillent en avant du groupe.

En bateau, avec le sondeur, j’essaie de repérer les différentes couches de poissons afin de choisir directement ma zone.

 

Et le soleil ?

A partir de 30m, la lumière est plus légère et j’essaie donc de ne pas être de face, à contre jour.

 

7 – Septembre/ octobre sont des périodes parfaites pour la chasse sous-marine notamment du denti mais comment vis tu l’arrivée de l’hiver ?

Je vis l’arrivée de l’hiver de manière assez terrible. En effet ici, l’eau va rapidement descendre à 10/12 degrés et il y a des jours où tu as l’impression qu’il n’y a plus aucun poisson. Parallèlement, les tempêtes ici sont très fortes même si l’on est en méditerranée ( des vagues de 8.8m ont été mesurée cette semaine).

Je n’aime pas vraiment la pêche du loup que je ne pratique pas vraiment et donc maîtrise peu. Dans ma zone, il y en a peu et donc ma pêche sous-marine en hiver ressemble étonnamment à celle de l’été pour ce qui est des techniques et des poissons recherchés. Je chasse par demi journée comme en été en cherchant de gros  dentis ou mérous. Côté équipement, j’utilise alors un pendule car avec 9kg de plomb passé 30m cela devient très pénible pour remonter. Le reste de la journée, j’essaie de m’adapter et de chercher quelques loups ou dentis solitaires dans « peu » de profondeur.

aleix segura vendrell et son Seawolf
Aleix Segura Vendrell et son Seawolf

8 – Côté matériel, comment te prépares tu notamment pour les liches ou dentis  ?

Sur ma zone, la pêche de sérioles est relativement occasionnelle, ce qui fait que d’une part je n’y vais pas spécialement dans ce but là mais d’un autre côté, le matériel n’est pas si différent de celui que j’utilise pour la pêche du denti. Pour le denti, j’utilise un Seawolf-sub Mako X2 en 105. C’est un double roller de 105 avec un grand moulinet et une flèche de 8mm.  Sinon quasiment la moitié de mes prises ont été faites avec un fusil classique en monogomme mais moins précis.

 

9 – Que penses tu des fusils type rollergun ?

J’adore ! Le simple roller, je ne l’utilise par vraiment pour en réalité passer du fusil classique pour la pêche à trou ou l’eau sale à un fusil double roller (ou un monoroller avec double gomme sur le dessous) bien plus efficace pour avoir une grosse puissance. C’est certains, c’est un fusil plus lent à charger et difficilement utilisable en compétition de chasse sous-marine mais pour mes besoins et ma façon de chasser, il m’apporte beaucoup à chaque tir.

aleix segura vendrell stat2

10 – Une idée d’entrainement pour la pêche sous-marine ?

Personnellement, durant l’hiver, je m’entraîne en piscine parce que ce qui me motive aussi en chasse sous-marine et que j’apprécie aussi c’est l’apnée statique. Pour ma façon de pêcher c’est idéal si bien que je ne m’impose pas un rythme de pêche soutenu. Avec une sortie par semaine, cela me va bien.  Pour chasser à l’indienne avec des récupérations courtes, j’aurais tendance à conseiller de travailler l’apnée dynamique. Dans tous les cas, l’entraînement en piscine aide à passer des barrières psychologiques et à mieux profiter de la mer. Résultat on se focalise plus sur la technique et l’action en étant déjà à la base bien plus détendu et sans pousser les apnées.

aleix segura vendrell en finale du dyn 2
Aleix Segura Vendrell en finale du dyn 2

11 – Le mot de la fin ?

Il n’y a pas de recettes universelles, il faut s’adapter et apprendre aussi par soit même en forgeant sa propre expérience et mettre les statistiques de notre côté !

 

Merci à lui que nous ne manquerons pas de retrouver dans la saison.